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Avant-propos : l’écueil du jeu de rôle est que nous sommes face à une fiction collaborative. En effet pour que la fiction soit valide il faut qu’elle soit accepté et donc comprise par l’ensemble des participants de la partie. Du coup l’originalité devient un exercice difficile tant ce que propose le meneur (ou un joueur) devra « parler » aux autres. De ce fait il est aisé de tomber dans le cliché pour s’assurer du succès de la proposition narrative. On retrouve ainsi pléthore de savants nazis, de sorciers fous, de zombis et autres. Afin de palier à ce problème les rôlistes avertis consomment de la fiction, que ce soit sous forme de films, séries, livres, bds ou même d’autres jeux de rôles (suppléments, campagne) de manière presque boulimique. Que celui qui n’a jamais dit/entendu « ce livre/film/oursin malouin est tout pourri mais il y a des choses à récupérer » me jette la première pierre. Mais franchement c’est un peu le foutoir dans nos têtes et quand il faut écrire ou pire improviser à brûle-pourpoint on retombe bien souvent dans la facilité.
Mais comment qu’on fait docteur ?
Ben je sais pas vous mais moi j’ai UNE méthode, à vous de voir si ça vous va. Elle n’est pas révolutionnaire mais elle a l’avantage d’être simple et pratique.
Tout d'abord la décomposition narrative.
Derrière ce terme qui fait penser à du zombi c’est tout simplement le fait de décomposer une fiction en élément narratif, comme des briques constituant l’essentiel de l’histoire. Les gens qui sont familiers de TV tropes comprennent de quoi je parle. J’isole les éléments d’une fiction en les vidant de leur contexte spécifique pour en retirer l’essentiel. Cela se décline ainsi.
Les personnages. On a beau dire les personnages c’est le cœur d’une fiction. Surtout en jeu de rôle où les joueurs font partie du casting. Je repère les personnages intéressants, pas forcément les personnages principaux mais aussi le personnage secondaire qui apporte du sel dans l’œuvre. Beauté fatale, homme puissant que tout accuse, jeune homme intègre, marchand avare, etc. Pour trouver des personnages intéressants on peut regarder les productions de Josh Whedon ou les fictions françaises. Ces dernières ont bien souvent d’excellents personnages bien interprétés mais sans véritables intrigues (les fameux « movies with no plot » qui font rire les américains).
Les décors. C’est ce qu’il y a autour des personnages. Très souvent cela marque l’imaginaire et offre de l’exotisme propre au plaisir qu’on prend avec l’œuvre. Ce n’est pas nécessairement un lieu, cela peut être une époque ou tout simplement une ambiance qui va orienter le récit. Un manoir sombre et lugubre, une station spatiale au-dessus d’une lune de Jupiter, le charme particulier du Paris de la Belle époque. Pour trouver de bons décors il faut aller chez Tolkien évidemment mais aussi Lovecraft ou Zach Snyder et ses films/vidéo clips.
Les intrigues. Finalement ce qui mets en mouvements les éléments précédents. Bien qu’il puisse y avoir plusieurs intrigues dans une fiction, il y en a généralement une principale qu’il va évoluer tandis que des intrigues secondaires ou de fond vont dérouler sur la longueur. Certaines fictions ne se préoccupent pas trop des intrigues comme les soaps qui privilégient l’évolution des personnages tandis que les films d’action/suspens et séries policières se focalisent dessus. Sauver le seigneur local, retrouver un trésor perdu, découvrir la vérité sur tante Augusta, etc. On retrouve de nombreuses intrigues chez P.K. Dick avec ses histoires très complexes par exemple. Les comics de Grant Morrisson font mal à la tête aussi.
Les rebondissements ou péripéties. C’est un peu comme les épices dans un plat, sans l’ensemble est peu fade, on suit tranquillement le déroulement de l’intrigue et l’évolution des personnages sans grande surprises. Les américains sont très friands de cela à tel point qu’on perd pied dans certaines fictions avec la réalité. A force de chambouler les intrigues l’histoire devient incohérente. Mais au moins on ne s’ennuie pas.Les Star Trek et Star Wars de JJ Abrams sont éloquents là-dessus : du rebondissement en cascade qui donne un rythme de dingue aux films où on évite soigneusement de rester cohérent. Howard est un spécialiste du genre, chaque nouvelle pose une intrigue clairement identifiée, des personnages hauts en couleur et une ambiance furieuse pour renverser complètement la situation au moment où on s’y attend le moins. La saga Magie Brute envoie du lourd à ce niveau là aussi.
Bon c’est bien tout ça doc’ mais j’en fais quoi ?
Allez petit(e) ! Prends un carnet (ou ton Smartphone/ta tablette avec Evernote) et prend des notes. Tu as lu un livre/une BD qui t’inspire ? Un film/ une série qui claque ? Notes les éléments qui t’ont plu et enlève le vernis spécifique de la fiction et retiens l’essentiel, la nature profonde des éléments narratifs que tu as retenus. Classes les en fonction de leur type ou du jeu/genre auquel tu le destines.
Prenons un exemple issu d’une lecture en cours : Kraven de Xavier Mauméjean, roman steampulp bourré de références issues de la culture populaire. Dans un chapitre (désolé pour le spoile mais c’est 3 pages dans le bouquin) Lord Carnarvon se rend dans l’île mystérieuse peuplée de dinosaures (un lieu isolé hors du temps) pour détruire le virus mortel (empêcher la propagation d’une catastrophe) que le baron Strachov (un seigneur mégalomaniaque aux penchants nihilistes) veut libérer sur le monde. Alors qu’il s’est introduit dans le laboratoire secret du baron, celui-ci le surprends et décide sur un coup de folie de tout détruire car « il n’a pas besoin d’un héros pour le faire » ! (le personnage sème les graines de sa propre perte).
Qu’est-ce que j’en fais ? Je note ces éléments et je regarde comment les recycler dans un tout autre contexte. Exemples :
- Le seigneur mégalomaniaque aux penchants nihilistes me fait penser à un riche industriel qui cherche à développer son industrie en dépit des conséquences sociales et écologiques.
- Empêcher la propagation d’une catastrophe pourrait vouloir dire qu’un sombre sorcier s’apprête à lancer une malédiction qui va décimer la capitale du royaume.
- Pour un lieu isolé hors du temps je verrais bien une planète éloignée du cœur de la galaxie où les humains sont retournés à l’âge de pierre après avoir perdu le contact avec la civilisation.
- Le personnage qui sème les graines de sa propre perte m’inspire ce journaliste, ami des investigateurs, qui les lancent sur des meurtres rituels mystérieux et qui irait lui-même fouiner auprès de cette secte de notables qui vénèrent une idole d’un autre âge.
Ensuite ? Et bien on se fait une base qui va grandir continuellement et on s’en sert comme n’importe quel outil sandbox très connu en jeux de rôles.
- Pour un scénario scripté : vous avez déjà les bases, les briques essentielles de votre histoire. Il ne vous reste plus qu’à organiser l’ensemble pour avoir quelque chose de cohérent. Surprenez les joueurs en jouant sur les codes de l’univers connu.
- Pour un mode bac à sable / sandbox. Vous avez tout loisir de placer personnages, décors et intrigues au gré de votre univers de jeu pour offrir un maximum de matière aux personnages joueurs. Conservez bien des listes de péripéties adaptées à l’histoire pour relancer la machine si le rythme de la partie diminue et improviser quelque chose de dynamique.
- Vous pouvez même utiliser ces éléments pour de l’improvisation totale ou des jeux à narration partagée ! ajoutez-y des listes de noms de personnes et de villes et vous et vos camarades ne serez jamais à court d’idées !
Bien évidemment si vous ne vous sentez pas de décortiquer vos lectures et films (et pourquoi pas scénarios de jdr !) vous pouvez toujours utiliser du travail déjà prêt.
Je pense aux jeux de SINE NOMINE (Stars without number, Other dust, Red tide) qui propose du matériel déjà prêt pour des contextes précis ; aux suppléments issus de la coopérative GNOME STEW (Masks pour les pnjs et 501 adventures plot pour les intrigues) ou 100 scénarios med-fan chez JDR éditions. Pour les rebondissements j’utilise le Mythic Game Master emulator qui sert aussi bien à jouer sans MJ qu’à proposer des accroches pour faire évoluer un scénario. Pillez aussi des sites comme GUNoF ou l'application Nameshake qui propose des noms pour vos personnages.
Pour ne pas m’embêter je pratique un exercice quotidien : TV Tropes. Tous les jours je vais sur le site, clique sur « random » et lit l’article. S’il me parait inspirant je le note avec les quelques idées d’adaptation pour les jeux que je maîtrise en ce moment. Si l’article ne me parle pas, je fais un nouveau random jusqu’à ce que je trouve une idée intéressante. J’ai même écrit récemment un scénario express sur ce principe dont vous trouverez ici le compte rendu.
Une dernière chose : s’il est toujours bon de reprendre les bonnes idées dans nos geekeries habituelles, je vous encourage à chercher l’inspiration ailleurs. Dans les films non geek, dans la littérature blanche et même dans la vraie vie ! Cela rafraichira votre inspiration et vous permettra d’éviter les poncifs de la fiction de genre.
Bonus : pour commencer voici quelques « briques narratives » glanées ici ou là pour vous aider à démarrer.
Personnages : un russe blanc à l’esprit intègre ; le nerd aux talents cachés ; une femme d’action aux méthodes expéditives ; un roi fantoche ; l’homme de l’ombre qu’on appelle en dernière nécessité.
Décor : une tour gigantesque avec une horloge ; une cité souterraine inconnue et oubliée ; un zeppelin de vapeur et d’acier ; une ville fantôme ; le siège du gouvernement.
Intrigues : une guerre pour des ressources ; un triangle amoureux ; un virus qui change les victimes en monstres ; les héros sont assassinés ; les villageois ne sont pas ce qu’ils prétendent.
Péripéties : le surnaturel intervient alors qu’on ne l’attend pas ; un personnage va aider les héros de manière fortuite ; la douce épouse est pleine de surprises ; un personnage gagne en puissance ; l’intrigue se résous (trop ?) facilement.
ENJOY!