
Il y a quelques semaines est sorti un article sur les critiques de jeux. Grosso modo l'auteur expliquait que les critiques de jeux n'existaient pas car elles se trouvaient n'être que des avis plus ou moins éclairés sans vraies connaissances suffisantes des personnes pour évaluer correctement le jeu. Je suis plutôt d'accord sur le fond même si l'approche jusque-boutiste me parait irréaliste. Oui des bonnes critiques de jeux existent, non on n'est pas obligé d'avoir des professionnels comme dans le cinéma qui connaissent tout le gotha, le profil de l'auteur et qui a tout testé 15 fois.
Mais, il faut bien le constater, les véritables critiques de jeux, et particulièrement de jeux de rôles, sont assez rares. Avis dithyrambique en mode fanboy, consensus mou pour dire que "ça ne plaira pas à tout le monde" (façon polie de dire que c'est pourri) voir dégommage en règle d'un jeu qui mériterais un peu moins de mauvaise foi sont légion pour ne pas dire la norme. Finalement on retrouve très peu de retours sur des jeux qui évitent ces écueils. De l'aveu même de certains, mieux vaut ne pas parler d'un jeu plutôt que s'attirer des foudres pour en avoir mal parlé.

Et ce n'est pas sans raison ! Aujourd'hui, en France, on a un problème avec la critique. Très souvent, la moindre allusion au défaut d'un jeu on voit arriver des auteurs/éditeurs chatouilleux qui vont t'expliquer que tu n’as rien compris voir pire que tu es un hâter pour dire ça. Et quand ce n'est pas carrément les rôlistes fanboys qui viennent t'expliquer à grand coup de mauvaise foi que, "non, il y a aucun problème, ce jeu est génial". Ayez le malheur d'insister et vous serez un triste sire qui ne cherche qu'à faire dire à ces braves rôlistes qu'ils n'ont aucune légitimité à aimer le dit-jeu.

Tout cela aurait du sens si les défauts relevés ne pouvaient pas poser de vrais problèmes à certains. Par extension si vous avez passé un mauvais moment ou eu des soucis à cause d'un défaut du jeu on en revient à vous dire de vous taire pour ne pas blesser les 3 péquins qui adorent le jeu au-delà de toute logique. J'exagère mais on est en plein dedans. Essayer de dire du mal d'une madeleine de Proust comme Vampire, Shadowrun ou Warhammer*. Pourtant des gens qui ont eu des problèmes avec ces jeux pour leurs lourdeurs, leurs mécaniques ou un historique trop complexe il y en a plein. Leurs désillusions a-t-elle moins de valeur que le plaisir des autres ? Pour moi non. Si vous avez pris plaisir avec un jeu tant mieux pour vous. Mais si le jeu en lui-même a provoqué des situations déplaisantes, ce n'est pas nécessairement de votre faute. Certains répondrons que l'on fait ce qu'on veut avec un jeu, un système, un univers. Qu’il suffit d’ignorer, de faire avec, d’adapter. Solution facile d'autant qu'on n'est pas tous logé à la même enseigne, voir dictature du bon MJ car ceux qui savent s'en sortir vous expliquerons qu'il suffit... de savoir. **

L'intérêt de la critique
C'est là qu'intervient l'intérêt d'une bonne critique : marqué les problèmes et les qualités d'un jeu pour permettre aux acheteurs/joueurs potentiels si cela leur conviendra ou pas, si tel ou tel point peut être un problème ou pas, si ce jeu en vaut la peine ou pas. On voit déjà poindre l'argument classique : une critique c'est forcément subjectif, impossible d'avoir la vérité absolue sur la qualité du jeu. Oui et ? Bien sûr mais il en est ainsi de toute chose. Dans la vie IRL aussi on se contente d'approximations, de modèles ou d'avis éclairés. Sauf qu'évidemment on ne peut pas s'appuyer sur de vrais experts professionnels. Il n'empêche qu'on peut avoir tout de même un poil d’honnêteté intellectuelle et de recul sur ce qu'on a lu.***
Mais alors comment reconnaitre une bonne critique ?
J’ai quelques exemples bien parlants :
Nabil et son collègue JB dans ind100 pèsent le pour et le contre d’un jeu simplement sans jamais ni défoncer un jeu, ni encenser. L’intérêt est de mettre en lumière les points saillants qui faciliteront votre achat (ou pas).
Seul critique ayant ma reconnaissance dans Casus Belli, Marc Sautriot se met dans la peau du joueur/MJ qu’il est pour voir s'il a bien tout ce qu'il lui faut pour jouer et si tout cela vraiment pertinent. Un point de vue pragmatique qui va à l’essentiel : « et si je veux y jouer ? »
Les amis du Podcast Anonymes ne parlent que de jeux qu'ils ont testé ou sur des thèmes qu'ils connaissent suffisamment pour faire un droit d'inventaire. Les avis sont toujours experts car on sent bien de quoi ils parlent.

J’ai aussi produit de critiques et j’ai une méthode Dandy bien à moi :
La forme est-elle plaisante ? Cela peut aller de jolies illustrations à une maquette claire qui rend la chose lisible. Parfois vous avez de très beaux jeux qui s’avèrent être imbuvable pour retrouver des informations alors que certains jeux très moches sont des modèles d’ergonomie (coucou Mothership !). En fait, la forme c’est le premier contact avec le jeu.
A-t-on tout ce qu’il faut pour réaliser la promesse du jeu ? Est-elle-même claire ? Un jeu c’est toujours une proposition (même si celle-ci est susceptible de changer durant la partie) et le premier intérêt d’un jeu ou d’une campagne c’est de donner les ingrédients de cette proposition. Certains jeux sont extrêmement efficaces pour se focaliser sur l’essentiel quand certains se perdent en chemin et ont un propos confus sur ce qu’on peut faire avec (le pire étant « tu peux tout faire ! » délicieusement naïf mais un poil pénible à la longue).
Finalement il est pour qui ce jeu ? Sans ressortir la panoplie GNS, on a quand même des jeux plus ludistes que d’autres, plus « immersionnistes », etc. Quand tu sors ta fiche de perso à Pathfinder tu sais qu’on va surtout jeter des dés, jouer tactique et rechercher des situations optimales. Quand tu joues à Apocalypse World tu sais que les dés sont juste là pour te balancer dans des directions différentes, pour qu’il se « passe quelque chose ». Même si le jeu ne vous plait pas, il est possible qu’il plaise à d’autres, évitez la réponse bateau et donnez des précisions dessus.
Est-ce que ça donne envie ? Élément hautement subjectif s’il en est c’est aussi un indicateur important de comment le jeu à la lecture ou aux tests vous ont affectés. Un peu d’enthousiasme est toujours apprécié. Assurez-vous juste que votre envie n’affecte pas votre jugement.

Enfin voici quelques conseils pour vous…
Auteurs/éditeurs/créateurs : assumez que l'exposition amène aussi une remise en cause de votre travail, c'est comme ça. Bien sûr que parfois ça fait mal et c'est trop souvent gratuit. Bien sûr que vous préférez qu'on vous dise que votre travail est super, ça fait du bien. Mais en vrai ce qui vous fera le plus avancer ce sont les critiques, parfois maladroites, parfois méchantes mais avec un fond de vérité. L'Ego s'accorde mal avec l'exposition et il vaut mieux faire avec pour apprendre à en tirer un maximum. Vous ne plairez pas à tout le monde mais le mieux reste encore de plaire au plus grand nombre ! Et les critiques sont évidemment le meilleur moyen de s'améliorer.****
Critiques : soyez aussi exigeant avec vous même qu'avec les auteurs dont vous critiquez le travail. C'est une question d’honnêteté. Après tout pourquoi donner son avis si c'est pour n'avoir rien à dire ? Votre avis est important, tout du moins à ceux qui sauront les lire avec sincérité. Ecrivez dans la presse (même amateur), faites des articles de blog, de vidéos sur YouTube ou simplement allez poster sur le Grog.
Lecteurs : soyez exigeants ! Allez-vous renseigner, choisissez soigneusement vos achats en vous appuyant sur les gens en qui vous avez confiance, les critiques qui vous donnent envie d'acheter et de jouer.
Voici une liste sélectionnée pour vous des gens qui ont tout ma confiance quand je cherche à acheter.
Poulpy et ses vidéos complètes et courtes.
Ind100 qui fait le point sur le bonus/malus.
Le mag Di6dent est mort mais pas le Fix! Les critiques de Xaramis sont particulièrement justes.
Les retours de Marc Sautriot dans Casus Belli le mag
Joyeux Noël !!!

*Trois jeux qui ont complètement revus la copie dernièrement. Coïncidence ?
** Ainsi la notion d’apprentissage et d’initiation qui enferme le jeu de rôle conforte une vision élitiste d’une pratique réservée à ceux qui ont accès à des personnes aptes à leurs transmettre des compétences.
*** Oui car ce qu’on critique avant tout c’est l’ouvrage (pdf ou livre papier), le manuel qui explique comment jouer. Même quand on l’a testé car les gens se moquent des « bonnes parties » que vous avez pu avoir dans le sens où ce n’est pas une garantie pour eux. Critiquer un jeu sur la qualité d’une partie est soumis à beaucoup trop de paramètres extérieurs (participants, conditions, scénario, environnement, etc.) que la qualité de l’ouvrage n’y est plus que minoritaire. Pourtant ce qui se transmet/s’achète/se lit/se teste c’est l’ouvrage.
**** Après coup évidemment ! C'est mieux si vous avez eu des relecteurs/playtesteurs critiques avant de publier.