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Dexième "leçon de style" où Marion nous parle de sa pratique du jdr. Marion c'est un col-blanc anonyme le jour, une redoutable joueuse de League of Legend la nuit. Quand elle ne s'éclate pas avec ses copines de roller-derby, elle fait du jeu de rôle. Découvrons ici une femme spontanée au style frais, pétillant et surtout éclectique.
Doc Dandy : Marion, parles moi un peu de toi, de ton identité secrète, de comment tu es venu au jdr?
Marion : Au lycée, avec deux copines, nous sommes tombées sur un "Manuel du joueur" de D&D. À l'époque, nous étions déjà fans de jeux vidéo et la découverte de ce livre nous a émerveillées... Le jdr, c'était comme de jouer à un Baldurs Gate qui serait infini. Comme nous n'avions que le livre du joueur, nous avons improvisé une partie des règles et pris beaucoup de plaisir à faire du roleplay...
J'ai commencé par être Mj et j'avais un groupe de 3 copines qui jouaient régulièrement, par la suite en piquant des morceaux de systèmes de jeu sur internet je les ai fait jouer à une sorte de Mage-Vampire personnalisé. Puis je suis entrée à Sciences Po et mon parrain était roliste, j'ai rejoint un club et j'ai découvert de nombreux jeux. J'ai été, à ce moment, très étonnée de voir que c'était considéré comme un truc de "mecs", ça ne correspondait pas avec ma pratique.
Doc Dandy : Intéressant! D'abord tu es venu via les jeux vidéo. Beaucoup de vieux ont accusés les JV d'avoir "tué" le jdr à la fin des années 90, début 2000. Tu n'as donc pas été "initiée" comme beaucoup? Avec le succès de la série jdr du joueur du grenier on voit pleins de jeunes kiffer le principe du "rpg papier" mais avoir du mal à passer de l'intérêt à la pratique. Ce bouquin de D&D, il est arrivé comment?
Marion : Je crois qu'il appartenait à un ami à nous qui faisait du Jdr, une de mes deux copines lui a emprunté par curiosité et j'ai été désignée comme "Mj". Bien sur mes premiers scénarios étaient hyper écrits et comprenaient de nombreux plans et listes de Pnj, car Baldurs Gate était une inspiration. Clairement c'est parce qu'on était fans de Baldurs Gate qu'on a voulu essayer le Jdr. Très vite on a mis l'accent sur le RP et on n'utilisait que le minimum nécessaire des règles. Et ça a défini ma pratique d'après, j'ai beaucoup de mal à jouer "by the book".
Doc Dandy : Ouais t'es une diva du roleplay quoi! Les dés, les mécaniques, tout ça c'est superflu! Non? C'est quoi qui t'attire alors dans les jeux?
Marion : Le roleplay clairement, vivre des histoires ensemble. Je n’irai pas jusqu'à dire que c'est "superflu" plutôt "secondaire". Mais c'est ma perception personnelle, je sais que beaucoup pensent que ce qui compte, c'est les règles.
Après Sciences po j'ai joué en tant que joueuse sur des campagnes de Vampire, L5A, Lanfeust et actuellement SENS, et plein de One Shot de toute sorte de jeux. En tant que Mj j'ai fait jouer Patient 13, Lanfeust de Troy et des scénarios de one shot personnalisés.
Pour Patient 13 je respectais bien les règles car elles correspondent bien à ma façon de jouer.
Pendant longtemps, je croyais que "Peu importe les règles, tous les jeux peuvent être top avec un bon MJ." Puis j'ai fait jouer FATAL et je ne le crois plus.
Doc Dandy : Non!?! T'es une vraie malade! Plus sérieusement plutôt MJ ou plutôt joueuse?
Marion : 50/50
Doc Dandy : Alors Marion la joueuse elle attend quoi quand elle arrive à une table?
Marion : Hum... J'aime l'intérêt d'un scénario, la qualité de l'ambiance et le fait de pouvoir interpréter mon personnage. J'aime beaucoup Patient 13 par exemple pour son ambiance sombre et psychédélique. J'aimais beaucoup Vampire et Lanfeust pour la qualité des scénarios pondus par nos MJ. Quand le scénario est pourri je n'accroche pas longtemps en général, s'il est trop caricatural ou si c'est du PMT, s'il n'y a que des combats, si on est embarqué dans un "couloir" dans ce cas j'ai du mal à accrocher. Et j'aime SENS pour son questionnement métaphysique sur le rapport à la réalité. J'aime quand les autres joueurs sont sur la même longueur d'onde, j'ai du mal avec ceux qui veulent juste taper sans réfléchir et mettre le feu partout.
Doc Dandy : Donc il te faut un meneur qui assure avec une intrigue intéressante et qui sache poser une ambiance. Et les joueurs qui vont avec. Tu les trouves où?
Marion : Les Mj c'est le plus compliqué. Au départ j'ai eu mon parrain qui était un excellent MJ, il nous tenait en haleine d'une séance à l'autre, on y pensait toute la semaine. Il interprétait tous les personnages, jouait très bien des cliffshangers... C'était vraiment passionnant...
Puis j'ai eu un passage à vide, j'étais sur Lyon et j'ai croisé quelques MJ, ils faisaient du PMT et du donjon et Dragon "optimisation maximale". Ça ne me parlait pas du tout et en plus j'étais très nulle.
J'ai aussi essayé une table d'Ins Mv mais la philosophie était de tout brûler et tout casser. Et enfin j'ai trouvé un MJ qui proposait une campagne de L5A et c'était très intéressant, il y avait des démons, des intrigues, des mystères, et on avait un vrai impact sur l'univers en tant que personnages. Note que c'est par forums et ML que je cherchais le MJ de mes rêves. Finalement ce MJ de L5A avait plein d'amis rolistes et peu à peu je suis rentrée dans ce groupe d'amis, j'y ai rencontré mon chéri d'ailleurs. Et aujourd'hui je prends mes MJ dans ce groupe ou leurs amis.
Pour les joueurs c'est plus facile: j'ai converti tellement de copines, en réalité je n'ai aucune amie qui ne soit devenue roliste à mon contact. Les amies littéraires ou qui font du théâtre sont celles qui rentrent le plus facilement dans le jeu.
Doc Dandy : C'est très bien ça! Parlons maîtrise. Tu choisi comment tes jeux? Qu'est ce qui t'attire ou au contraire qui te repousse?
Marion : Je ne sais pas si on peut parler de "choix" un ami m'a donné son livre Lanfeust et du coup j'ai créé une campagne avec, pleine de jeux de mots, de cynisme et malgré tout de l'héroïsme. J'avais vraiment adapté les règles pour qu'elles me conviennent, car je les trouvais trop lourdes. On a joué deux campagnes dans ce jeu, avec nos règles adaptées et notre univers adapté. Sinon j'ai adoré Patient 13 et ce qui m'a attirée c'est le thème, l'ambiance, l'univers mystérieux et grinçant.
Et j'aimerais beaucoup faire jouer Z Corps, attirée de même par l'univers (je pense adapter les règles). Par adaptation il faut comprendre simplification, ne garder que l'essentiel en gros, pour que le MJ et les joueurs passent plus de temps à interpréter leurs PJ qu'à lancer des dés.
Doc Dandy : c’est à dire? Genre pour Lanfeust tu as résumé ça à 1d20 VS difficulté?
Marion : Non j'ai viré tout le système de Krasses qui ne me plaisait pas. Et simplifié le système d'armures / défense. Je me rappelle plus précisément les détails mais en gros c'est ça. Les Krasses c'est un système par lequel tu peux utiliser des points pour modifier les jets des autres. Alors que si tu veux vraiment embêter les autres, pourquoi ne pas le faire via une action RP? De plus, je trouvais que ça n'allait pas dans le sens de créer des scénarios intéressants si mes joueurs étaient plus préoccupés à se lancer des Krasses les uns aux autres, qui me semblaient trop "superficielles" parce-que forcées par le système. Mais mes joueurs se sont quand même parfois mis des bâtons dans les roues mais c'était toujours limité et RP.
Doc Dandy : Et pour servir ton histoire et l'ambiance, tu as des techniques secrètes de MJ Ninja?
Marion : Hum... C'est difficile comme question. Déjà je n’ai pas l'ambition particulière d'être un "super MJ" ou quoi. En général l'ambiance de la table dépend beaucoup des joueurs. Que je sélectionne très soigneusement, il faut que je sois sure qu'ils vont aimer l'ambiance et vouloir y contribuer. Et si je me rends compte à la fin d'une partie que l’ambiance n’était pas au rendez-vous j'en parle en HRP pour qu'on voie ensemble comment on peut améliorer la chose. Sinon, pour Patient 13, pour une ambiance sombre et terrifiante, j'utilise les classiques: lumière tamisée, musique angoissante en fond sonore. Et j'interprète les voix de tous mes personnages. Si je dois bosser 1 truc sur mon scénar, ce sont les PNJ, leurs "couleurs", leurs accents, façons de parler, tics de langages, obsessions, etc...
Pour Lanfeust de Troy, l'ambiance est plus détendue et drôle, du coup je bosse sur les jeux de mots (noms de villes, noms de plats, noms de PNJ), je bosse sur mes PNJ et je créé des situations qui vont permettre aux joueurs de créer leur jeu en surfant sur leurs envies et leurs personnalités.
Ce sont deux jeux très différents, sur Patient 13 il y a une ligne directrice, un scénario, des enquêtes. Sur Lanfeust, j'avais la trame de "ce que vont faire les méchants", mais pour le reste beaucoup d'impro pour être très réactive à ce que mes joueurs voulaient faire. Beaucoup d'impro ne veut pas dire aucune préparation, au contraire il faut bosser à mort les PNJ, les lieux, les intrigues indépendantes des PJ, etc...
Mais c'était super sympa de laisser plein de place aux joueurs. Pour qu'ils choisissent eux même leurs plans, les villes qu'ils veulent explorer, les PJ qu'ils veulent aller voir, etc. J'ai l'ambition de faire une campagne de Z corps comme ça, où les PJ devraient choisir eux même comment survivre. Ce se passerait en France et ils pourraient choisir: Est-ce que tu vas te terrer dans un hôpital? Tu vas dans la campagne? Tu cherches à fuir la ville? Tu te cloître dans un super marché? Bref j'aimerais qu'ils soient très libres. Mais c'est très compliqué parce qu'il faut savoir comment réagir à toutes leurs demandes, si tu es en panne d'idées ils vont s’ennuyer. Donc il faut bosser à mort l'univers et du coup je viens de finir "Comment survivre en territoire Zombie" qui est super et il faut que je lise "Z apocalypse".
Du coup on peut résumer "mon style" de MJ comme ça : je veux laisser beaucoup d'impro aux joueurs, rebondir sur leurs idées et leurs envie, du coup je découvre en même temps qu'eux l'histoire que l'on créé ensemble. J’ai juste de mon côté les mystères du jeu, une trame de ce que font "les méchants", plein de PNJ, de factions et autres intrigues qui pourraient interagir sans les joueurs. Aux joueurs, je leur demande dès le départ, à la création de PJ, de me dire qu'Est-ce qui va les animer? Quels sont ses buts, ses rêves, ses désirs? A l'inverse quelles sont ses peurs, ses angoisses, ce qu'il détesterait voir arriver? Et je m'en sers quand j'ai besoin de les intéresser.
Doc Dandy : Et tu as des outils concrets? Tu as des inspis, des notes sur un bloc note, des outils 2.0?
Marion : Un carnet où je note toutes mes idées. Ça se résume souvent à une liste de lieux, de PNJ (répartis en factions) et pour Lanfeust de jeux de mots.
En Inspi, en fonction du jeu je m'imprègne à mort de l'univers. Avant de masteriser Patient 13 j'avais regardé plein de films qui se passent dans un hôpital psychiatrique, avant de jouer Lanfeust relu toutes les BD, et là avant de jouer à Z corps je me tape tous les films de zombies (bon, peut-être pas tous).
J'ai quand même une trame globale des grandes étapes, par exemple, je savais pour Lanfeust qu'elles seraient les grandes étapes du complot des méchants, et je savais qu'il y aurait un grand tournoi de Poésie et que mes joueurs voudraient le faire. Pour Z corps je sais qu'il y aura "différents stades" de l'infection. Donc dans le carnet il y a :
-> Une trame temporelle de ce qui se passe "hors PJ"
-> Des PNJ décrits en faction, avec leurs "couleurs"
-> Des lieux
(-> Des jeux de mots si besoin)
Le carnet + L'inspiration des films and Co + l'Improvisation + mes joueurs = ma campagne.
Au départ, je faisais beaucoup de One Shot Impro: mes joueurs me donnaient un mot chacun, et je les faisais jouer un scénario inventé de toutes pièces qui devait comporter, de manière très pertinemment placée, l'ensemble des mots. J’en ai fait une dizaine, c'était très drôle et j'ai beaucoup progressé sur mon impro. Et du coup j'ai juste étendu mon concept à la campagne, sauf qu'au lieu de demander des "mots" j'ai demandé les aspirations et les peurs de mes PJ.
Doc Dandy : Tu structures ces idées ou c'est plutôt un potpourri?
Marion : C'est très structuré avec un plan et des rubriques spécialisées. J'ai un background de Sciences Po, je fais des plans en 2 parties.
Doc Dandy : Et les parties? Régulières, courtes, longues, Pepito coca ou pizza bière?
Marion : Hum, 3h c'est mon format quand je masterise en général. Pas d'alcool mais sinon de la nourriture et de la boisson oui. Régularité: 1 fois toutes les deux semaines ou 1 fois par semaine.
Doc Dandy : Qu'est-ce que tu penses du monde du JDR en général? Diversité des thèmes, du public, etc. J'ai quand même l'impression qu'on reste sur la logique "loisirs pour ados, jeune adulte, mâle hétéro".
Marion : Hum... Je connais mal le "monde du Jdr ". Je pense qu'il est très varié et que pour la grande majorité ce sont des groupes d'amis qui jouent entre eux. Et j'ai quand même l'impression qu'il y a beaucoup d'adultes même si je n'ai pas les stats. Les thèmes aussi sont variés si on n'a pas peur de taper dans les jeux indépendants. Dernièrement j'ai joué à Cordes Sensibles par exemple, qui est un jeu sur l'exploration d'un problème et l'expression des émotions.
Doc Dandy : Alors penses-tu que le JDR puisse devenir un loisir populaire ou bien est-il condamné à rester un loisir de niche? Si oui quels peuvent être les freins?
Marion : Alors, j'avoue que je n'en ai aucune idée, je n'ai jamais trop étudié la sociologie du Jdr... Pourquoi Est-ce que c'est une niche pour le moment? Pourtant dès que j'initie des gens autour de moi c'est très très rare qu'ils n'aient pas aimé. Donc la non-prolifération du Jdr est un vrai mystère pour moi. En frein, la méconnaissance? On n'a jamais vu de publicité à la TV... Peut-être qu'il n'y a pas assez d'argent à y gagner et que ça décourage les éditeurs de s'y risquer? On pourrait croire qu'avec internet pourtant ça pourrait se développer d'avantage. Enfin, tout ça c'est que de la "discussion de comptoir", en réalité je ne sais pas du tout, je n'en ai aucune idée, je pense qu'il doit exister des travaux sociologiques sur le sujet?*
Doc Dandy : Je comprends... Prenons la question à l'envers: pourquoi ça marche avec ton entourage? Ce sont tous des geeks invétérés? Ils font partie d'une catégorie socio-professionnelle plus open?
Marion : Non, de base, quand ils ne le pratiquent pas, c'est parce qu'ils ne le connaissent pas et n'en ont jamais même entendu parler. Ils pensent éventuellement vaguement à du GN, mais c'est tout.
Sinon je pense que le Jdr s'adresse à tous (du moins la manière dont je le pratique, avec peu de règles compliquées-reloues et l'accent mis sur le RP et le scénario). Et du coup dès qu'ils ont fait une partie ils apprécient. J'ai eu une fois une personne qui n'a vraiment pas aimé car l'idée même d'incarner un personnage lui déplaisait mais je pense que c'est une minorité de cas. Tu aimes le ciné / les jeux vidéo? Ça veut dire que tu aimes qu'on te raconte des histoires et intervenir sur l'univers.
Donc, il n'y a aucune raison que tu n'aimes pas le Jdr.
Après y'a peut-être des MJ relous qui font jouer du D&D avec plein de règles très compliquées et chiantes et là, OK, c'est peut-être pas accessibles à tous (mais même moi je m'y perd). De toute façon, il y a tellement de Jdr différents que tout le monde peut en trouver un qui lui plait et lui convient. Donc c'est vraiment un problème de méconnaissance je pense.
Aussi je propose des thèmes adaptés aux centres d'intérêts de mes "victimes". J’ai fait jouer mes copines de prépa littéraire à un jeu que j'avais créé dans un univers Shakespearien, elles ont bien accroché (Et moi aussi).
Doc Dandy : C’est cool! Bon parles moi un peu de tes univers/jeux/systèmes fétiches. C'est quoi ta came?
Marion : En système, il faut que ce soit le plus simple possible et parfaitement adapté à l’univers / au scénario / à l'ambiance que je veux créer. Souvent je le simplifie. En fais-je m'en fiche un peu du système. En univers, j'aime des trucs très éclectiques. J’ai beaucoup fait du Lanfeust de Troy ; j'adore Patient 13 ; et SENS. On va dire que c'est mes trois préférés.
Doc Dandy : Allez un dernier pour la route: parles moi de TON personnage...
Marion : J'en ai plein ! Mon personnage à SENS, que je joue actuellement, s'appelle Diane-Elea D'arlendor (j'ai eu droit à des points de création rien qu'à son nom), elle est psychiatre et s'intéresse beaucoup à la psychologie humaine... D'un tempérament doux et empathique, elle inspire souvent la confiance mais c'est aussi une personne sensible. Le personnage a déjà beaucoup évolué depuis le début de la campagne, chaque nouvelle découverte la marque et elle évolue, car elle a, comme tout le monde, une part sombre, des angoisses, des traumatismes ancrés en elle, et les évènements l'influencent.
Doc Dandy : Un personnage tout en nuance donc. Chapeau. Merci à toi.
*Hélas non et les rares travaux auquel j’ai pu accéder ne sont pas probants. Le document le plus proche était un mémoire peu glorieux qui dépeignait le roliste de club comme un ado/post-ado mâle s’étant découvert une vie sociale grâce au jdr. Bref on en est encore à se faire traiter de nerd infantile.