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Véritable serpent de mer du jeu de rôle les enquêtes sont toujours problématiques. Depuis le fameux Appel de Cthulhu où les personnages se rongeaient les doigts à l'idée de rater leur jet de TOC la question se pose. Problème de rythme, d'intensité narrative ou même d'impasse quand les joueurs ne trouvent pas comment résoudre l'affaire. A chaque fois les scenarii nécessitent une extrême préparation et/ou de l'improvisation de la part du meneur.
Comment faire pour y pallier? Des jeux comme Gumshoe ou InSpecters bottent en touche en permettant de générer des indices à la volée pour le premier ou de laisser les joueurs décider de l'intrigue pour le deuxième.
Alors il y a bien quelques pistes ici ou là mais c'est bien maigre.
Sans vouloir jouer les sauveurs j'ai pensé à une façon de structurer les scénarios à enquête en m'inspirant des bonnes vieilles séries policières qui pullulent sur nos écrans. Comment? En m'appuyant sur les personnages, oh pardon! Je voulais dire les suspects...
Attention: je voudrais d'abord préciser qu'ici on va parler de crimes graves où la résolution de l'enquête va se faire dans une cadre délimité, généralement autour des proches de la victime. On ne parlera pas ici de crimes crapuleux organisés par des criminels professionnels où le problème sera plutôt de prouver la culpabilité plus que de comprendre qui et pourquoi.
Avant de vous expliquer tous mes petits secrets laissez-moi exposer quelques principes de base.
- La résolution d'un enquête chez les policiers est toujours basé sur le recoupement d'un faisceau d'indices*. Les enquêteurs rassemblent un maximum d'informations, de témoignages ou d'indices pour comprendre ce qu'il s'est passé. Tout n'arrive pas en même temps et le travail de la police consiste essentiellement à fouiller dans la merde pour démêler le vrai du faux. C'est souvent ingrat d'autant que tout le monde (coupable compris) a une théorie pour expliquer qui est le/la coupable. D’ailleurs bien qu'un récit policier paraisse linéaire, il ne l'est jamais en fait.
- Les gens mentent. Tout le temps dans une enquête. Les coupables évidemment mais aussi tous les gens suspects qui ont une bonne raison d'avoir commis le crime. Ajoutons aussi à cela les témoins qui ont déjà une idée du coupable et vont orienter les enquêteurs pour qu'ils aillent dans leur sens. Parfois les témoins ne mentent pas mais omettent complètement des informations essentielles. Vous avez sans doute remarqué que lorsqu'on arrête des tueurs psychopathes on voit leurs chers voisins expliquer à quel point ils sont étonnés? En effet la plupart des gens ne pensent pas à mal quand leur voisin vient leur emprunter une scie ou quand ils trainent un congélateur bien lourd dans leur camionnette. De fait les personnes normalement constituées ne pensent pas aux détails louches qui permettraient aux policiers de comprendre des points importants. Il leur faut donc creuser, fouiner, remuer la fange.
Ok, on a compris mais comment faire?
On s’inspire des séries policières où les enquêteurs sont envoyés de fausses pistes en fausses pistes avant de comprendre qu’on les a trompé.**
On prend une feuille et on commence par le crime en lui-même. Qui, pourquoi comment? C'est extrêmement important de bien tout cadrer à ce niveau-là. Viendront ensuite les suspects dont le coupable.
Pour chaque suspect vous définissez rapidement les éléments suivants:
- Un lien avec la victime. Epoux (se), amant(e), collègue, rival, ami, voisin, etc. Il peut y avoir deux niveaux de liens comme cette charmante collègue qui oublie de préciser que la victime trompait sa femme avec elle tous les jeudis soir.
- Le mobile. Si le personnage est suspect c'est qu'il/elle a une bonne raison d'être suspectée. La plupart du temps c'est humainement simple. Jalousie, rivalités, argent, conflits d'égo, etc. On a tous une bonne raison de tuer quelqu’un.
- Un alibi. Tout le monde en a un même le coup du "j'étais chez moi en train de dormir" imparable. La plupart du temps ils ont un/des témoin(s) qui les ont vu à l'autre bout de la ville ou un rendez-vous qu'on ne peut pas rater (dentiste, client, etc.). Le vrai coupable aura surtout un alibi mais bien bidon celui-là. Faites en sorte qu’il paraisse solide, tout du moins à première vue.
- Un petit secret inavouable qui l'embarrasse car source de suspicion à son égard.
- des indices / informations à débloquer. Quand je dis bien à débloquer c'est bien dans le sens vidéoludique du terme. Le simple fait de rencontrer cette personne va donner accès à des informations. Celles-ci peuvent être différentes. Un témoignage qui contredit celui d'un autre suspect, des détails sur la victime ou même un indice. Dans ce dernier cas cet indice peut même être déconnecté du personnage mais arriver au moment où vous le rencontrer. C'est le fameux cliché du moment où l'enquête piétine et où le témoin invalide votre théorie quand, tout à coup, un collègue vous amène les résultats de la balistique/autopsie/épluchage des comptes. L'idée n'est pas tant de lier l'indice au personnage que d'avoir un artifice narratif qui va engendrer du rythme. Ces indices peuvent être libérés immédiatement mais aussi resté secret pour diverses raisons. Pour les découvrir les joueurs devront utiliser leurs compétences leur bagout ou leur perspicacité. Un point très important est que jamais, jamais, cet indice ne doit donner la clé du scénario. Renvoyez juste les enquêteurs sur une piste, même fausse, pour les aider à avancer. L'idée motrice est qu'ils comprennent le fin mot de l'histoire en recoupant tous les indices.
La petite astuce est de développer ces informations sur un tableau ou une carte mentale pour résumer tout cela. Avec un document unique vous aurez donc tout ce qui convient sous les yeux pour gérer votre intrigue.
Vos joueurs n'ont pas pensé à un suspect en particulier et ils vont manquer de quelques indices pour avancer? Cela n'a pas d'importance, faites venir alors la personne qui aura, juste au moment opportun, repenser à quelque chose. Voir qui aura des remords et viendra se confesser, donnant une nouvelle piste aux enquêteurs. A l’inverse s’ils avancent trop vite dans le bon sens, jetez quelques informations menant à d’autres pistes pour gagner du temps.
Euh je sais pas trop comment ça peut marcher ton histoire?
Cela tombe bien car j’ai justement préparé un exemple avec un petit scénario dans un univers contemporain. A la base j’avais prévu d’en faire un scénario complet pour COPS mais je préfère le laisser vierge de toute statistique pour vous laisser l’adapter à votre jeu préféré au besoin.
Au final cette proposition n’est pas la panacée mais offre son lot d’avantages et d’inconvénients.
Avantages : L’approche offre une très grande souplesse dans le rythme de la partie, évites de tomber dans des impasses, s’adapte aisément à n’importe quel jeu traditionnel (même Gumshoe !) et fait la part belle au roleplay et à l’interprétation.
Inconvénients : en abuser va clairement apporter une forme de lassitude car cela risque d’être répétitif. La technique peut même se joueur en free-form / system-less au point qu’il peut rendre l’utilisation de tel ou tel système de jeu obsolète.
Note : tout cela fait très bac-à-sable et il est possible que vous recherchiez une approche plus écrite ou scriptée. Pas de soucis ! Si vous avez des scènes intéressantes à ajouter pour donner plus d’ampleur à l’enquête, injectez-les à des moments prévus pour cela. Ainsi c’est en allant voir tel ou tel suspect que les évènements vont déclencher.
* Je me suis intéressé à la police scientifique et aux enquêtes avant que ça devienne cool. Je suis trooooop un hipster. J’au même failli en faire mon métier.
** C’est une structure narrative tellement courante, même dans les fictions françaises, que je la soupçonne d’être enseignée en école de cinéma. Si vous avez des références, n’hésitez pas à partager.
Un grand merci à la série Cold Case qui fonctionne totalement sur ce principe et dont les visionnages assidus m'ont permis de creuser cette piste.
Scénario contemporain enquête