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Sorti dans les années 40, les mille et un Visages du héros de Joseph Campbell a révolutionné la perception que nous avions des mythes et plus largement des procédés narratifs utilisés au cours des siècles. En effet Campbell, spécialiste des mythes amérindiens et indiens, s’est rendu compte que les récits présentaient certaines similitudes, que des schémas de narration communs apparaissaient. Il décida donc de creuser la question en étudiant de nombreux mythes mais aussi les religions modernes. Aussi étonnant que cela puisse paraitre il réussit à en dégager un schéma primordiale représentant le chemin spirituel de l’homme qui reste le même quel que soit l’époque et la culture. Pourquoi ? Et bien parce qu’à toutes les époques et lieux les humains ont eu les mêmes préoccupations spirituelles et, une fois les habillages culturels spécifiques retirés, que nous les envisageons de la même manière : à la façon d’un chemin de vie où nous quittons l’enfance pour découvrir la vie et admettre avec l’âge notre finitude et être en paix avec nous-même. En gros c’est le référentiel commun de toute l’humanité en tout temps. Il a appelé cela le MONOMYTHE.
Je vous propose de décrire ce fameux voyage du héros en l’illustrant de nombreux exemples tirés d’un peu n’importe où. Vous allez voir cela donne le tournis. Oui je traite les religions actuelles au même niveau que les vieilles légendes ou des fictions modernes mais c’est pour mieux servir mon propos.
Le chemin du héros.
Le Départ.
Au début de son aventure le héros doit quitter sa vie/condition pour apprendre. Cette étape est similaire au jeune homme/fille qui quitte l’enfance pour devenir adulte. C’est pour cela que l’on retrouve très souvent cette partie du cycle dans les contes ou les récits pour la jeunesse.
On commence avec l’appel de l’aventure : le héros, innocent, reçoit un message, rencontre une personne qui va l’amener à quitter sa vie actuelle et se lancer. C’est un évènement déclencheur qui nous force à évoluer. Sangoku rencontre Bulma, Ulysse décide de rentrer chez lui, Néo suit le lapin blanc, Luke découvre le message de Leïa, Siddhârta fait face au concept de la mort, la princesse rencontre le crapaud, les investigateurs ont hérité du manoir de tante Pétunia.
Mais le héros n’accepte pas cet appel! C’est le refus. Il rentre se refermer sur lui-même car il a trop peur de l’inconnu. Il s’en mordra les doigts et subira les foudres du destin. Beaucoup de gens refusent l’appel par peur de l’inconnu ; faire le premier pas c’est déjà être un héros. Luke rentre à la ferme de son oncle pour rentrer à l’académie de pilotes, Daphné fuit Apollon et son amour et fini transformée en fleur, le majordome James Stevens (les Vestiges d’un jour) refuse l’amour de la gouvernante pour sauvegarder les apparences, Simba ne veut pas rentrer sur la terre des lions pour affronter son destin.
Fort heureusement il reçoit l’aide d’un guide, une aide surnaturelle représentée par un(e) mentor bienveillant(e). Cette figure est souvent représentée sous la forme d’un(e) vieil(le) homme (femme) dont la sagesse lui permet d’envoyer le héros innocent dans la bonne direction. Qui parmi nous ne peut pas citer un mentor qui l’a soutenu dans sa vie ? Obiwan Kenobi, Dumbledore, Gandalf, Merlin, Morpheus, Tortue Géniale, La Bonne fée des contes, Elminster, le vieux mage au fond de l’auberge, etc.
Enfin décidé à se lancer le héros doit d’abord passer le premier seuil, la première épreuve qui va lui permettre de comprendre son potentiel et d’accepter son destin. C’est le début de sa carrière de héros car en se dépassant il apprend beaucoup sur lui-même. Quasiment tous les débuts des héros de Shonen, Arthur retire Excalibur de la pierre, le jeune prince aux 5 armes affronte l’ogre.
Mais très vite le héros est happé dans le ventre de la baleine. Là pas de faux-semblants, il s‘agit bien de revenir affronter nos peurs inconscientes représentée par cet endroit profond, humide et sombre. Jonas et Pinocchio évidemment mais aussi blanche Neige qui fuit dans la forêt sombre ou le petit Chaperon rouge qui se perd dans les bois. Et que dire de ces braves aventuriers qui pénètrent dans ce mystérieux souterrain à la recherche de trésors enfouis ?
Initiation
Une fois l’aventure entamée le héros va subir une série d’épreuves et de rencontres qui vont l’amener à se sublimer. C’est à la hauteur des épreuves « épiques » que se mesurent les qualités du héros.
D’abord il y a la traditionnelle série d’épreuves, les 12 travaux personnels qu’il faudra surmonter sur le chemin de la gloire et de la connaissance. Les épreuves peuvent être physiques mais aussi mentales. C’est l’allégorie de toutes les embuches qui se dressent devant nous et que nous devons affronter tous. Psychée doit prouver son amour pour Cupidon ; Thésée entrer dans le Labyrinthe ; Inanna/Ishtar descend aux enfers où elle croise Orphée !
Sur le chemin le héros va faire des rencontres, en premier lieu il va rencontrer la Déesse. Cette dernière, incarnation de la nature nourricière et source de vie, fait penser à la mère mais ce n’est pas forcément le cas et elle peut être dangereuse pour celui qui ne sera pas correctement préparé pour la rencontrer. La Vierge Marie évidemment, Actéon rencontre Artémis ; le jeune Niall embrasse la vieille ; Galadriel de Lothlorien; l'Oracle dans Matrix.
Le héros va ensuite rencontrer l’autre face de la déesse, la tentatrice, cette représentation sensuelle et dangereuse qui peut amener le héros aussi bien dans son lit que dans la mort. Même si l’archétype peut paraitre maladroit il s’agit bien de l’homme qui quitte sa mère pour trouver une femme qui fera mourir celui qu’il était avant afin de l’aider à renaitre. Salomé, la femme fatale de tous les romans noirs, Circé la sorcière, a dame to killing for, Morgane la Fée, la mère d’Hamlet, la Dalila qui piège Samson, Marie Madeleine, etc.
Vient ensuite l’affrontement final, la rencontre au père. C’est l’ultime épreuve, faire face à cet emblème tout puissant qui donne et prend la vie d’un seul geste. Surpasser sa peur c’est devenir un Héros avec un grand H. Le père n’est pas toujours malveillant mais sa rencontre est toujours déstabilisante car il est le maître du monde supérieur et c’est lui qui fournira les clés au héros pour transcender sa forme actuelle. Le modèle le plus connu est évidemment Dark Vador dans Star Wars car Lucas s’est inspiré des travaux de Campbell pour écrire sa trilogie mais il y a bien d’autres modèles. « Dieu le père », l’ogre des contes, Phaeton qui vole le char de son père Phoebus/Apollon, le père de Bambi roi de la forêt.
Enfin vient l’Apothéose, la mort du héros qui perd son enveloppe physique pour devenir pur esprit et comprendre le monde. Symbole parfait des équilibres il est l’union des yin et yang du Tao, la somme du féminin et du masculin à l’image d’Hermaphrodite. Il atteint l’immortalité, l’éveil à l’image du Bouddha, de Néo, du super sayen, l’entité cosmique ou le chevalier initié au septième sens.
Enfin prêt, il reçoit le Don suprême, le nectar des dieux qui lui donnera les clés du monde matériel et immatériel. Avec il pourra revenir parmi les mortels pour faire bénéficier aux autres de ses largesses. L’ambroisie des dieux grecs, le Graal trouvé par Galahad, les boules de cristal afin d’invoquer le « tout-puissant », la pierre philosophale qui ne change pas le plomb en or mais transcende les âmes.
Retour
Il est temps de rentrer pour montrer à tous la vérité sur le monde. Mais il est parfois difficile de rentrer après avoir vu toutes ces merveilles. Le héros peut refuser le retour. Bouddha lui-même avait des doutes sur sa capacité à transmettre la sagesse qu’il a acquise. Galahad ne rentre pas à Camelot pour ramener le Graal, c’est Perceval qui témoignera de l’exploit du fils de Lancelot. Hercule aussi décidera de devenir un dieu en restant dans l’Olympe. Parfois même le héros ne peut rentrer par ses propres moyens.
Intervient alors la fuite magique, le héros va utiliser un artefact ou des pouvoirs pour échapper aux gardiens du royaume des dieux. Même le retour est une aventure à part entière. Gwion Bach acquière l’omniscience mais doit fuir la sorcière Ceridwen ; Aladin utilise le tapis volant et Sangoku son nuage magique.
Parfois cela ne suffit pas et la délivrance vient de l’extérieur. Un être puissant ou suffisamment éclairé va porter le héros hors de sa prison pour qu’il apporte la bonne parole. Amaterasu est enfermée dans la caverne et Uzume danse pour l’attirer au dehors. Conan roi est prisonnier mais l’esclave Zenobia le délivre pour qu’il se venge. Le Prince rejoint la princesse endormie/morte pour la délivrer grâce à la force de son amour, Isis restaure Osiris pour le faire revenir parmi les vivants.
C’est le moment tant attendu ! Le héros passe le seuil du retour, sort de la caverne, revient du monde magique, retrouve son peuple, changé à jamais. Jésus comme Sangoku revient parmi les siens, Oisin retrouve sa terre d’Irlande.
Une fois rentré il est maître des deux mondes, magique et humain. Malheureusement transmettre son savoir est compliqué car les « moldus » ne veulent pas savoir où ne peuvent pas entendre le message à moins d’y être prêt. Souvent le héros est un étranger, un vétéran, revenu d’un monde inconnu qui le coupe définitivement des autres. Libre de la vie, il choisira la retraite ou la mort physique pour mettre un point final à sa légende. Rambo et tous les vétérans troublés après la guerre, Jésus qui ne peut rester parmi les apôtres et repart sitôt son enseignement prodigué.
Ce cycle du voyage permet de retracer les différentes étapes de la vie, chemin que nous partageons tous où très peu d’entre nous atteignent la fin du cycle. Ce schéma se reproduit encore de nous jours avec de nombreuses œuvres qui portent ses thématiques. En somme il s’agit du référentiel commun, ce que Jung appelait l’inconscient collectif.
Mais alors tout a déjà été raconté ? On ne vit finalement qu’une série de clichés qui se répètent inlassablement ?
Oui et non. Oui car les schémas narratifs du voyage du héros parle à chacun d’entre nous, il donc aisé de s’en servir et les hommes, de tous temps, l’ont fait. Non car, même si on se contente d’utiliser les schémas du voyage du héros, il y a différentes façons de le faire. Même si Campbell a repris dans son livre certains archétypes classiques des mythes (la déesse vierge, le père de tout dévorant ses enfants, etc.) il précise bien que le Monomythe est métamorphe et peut prendre mille et un visage. Les récits peuvent s’attarder sur tel ou tel aspect du mythe, en le cachant sous des formes variées venues de notre vernis culturel, notre expérience ou simplement notre imagination. Exploiter le voyage du héros c’est effectuer soit même un voyage initiatique au pays de la narration.
Le Monomythe a été récupéré par Hollywood, la religion de demain c’est la philosophie jedi ?
Pourquoi pas ? En fait l’intérêt des mythes, religions modernes, contes et même les fictions contemporaines reprenant les structures du Monomythe sont là pour nous montrer le chemin afin d’avancer spirituellement sur notre chemin individuel. Si la détresse de Luke face à son père nous parle tant c’est bien parce que nous aussi nous avons du « tuer le père/la mère » pour grandir et devenir adulte. Certains n’y sont pas encore arrivés, courage ! Tout cela est une affaire personnelle: avoir foi en Odin, Allah ou la Force, peut importe pourvu qu'on y trouve son compte.
Le coin des rolistes :
Je ne sais pas vous mais j’ai envie de me relire de la mythologie, grecque, chinoise, celtique voir les écrit de la bible ou du Coran, les contes des Milles et nuits et tant d’autres choses afin d’y appliquer ma méthode. Je pourrais ainsi reprendre toutes ces histoires et infuser dans mes scénarios la substantielle moelle d’une histoire qui n’en finit pas d’être réinventée.
Conclusion
La leçon finale de Campbell est qu’il faut savoir apprécier nos mythes et nos religions pour ce qu’elles sont : des histoires pleines de symbolisme qui parle à notre inconscient pour nous aider à nous dépasser. A notre époque nous nous réfugions dans un athéisme doublé de scientisme dangereux car nous en perdons nos repères. Ceux pour qui la situation devient insupportable se réfugient dans l’extrémisme moyenâgeux, le sectarisme new-âge ou l’idéologie partisane. Il est temps de faire notre propre syncrétisme en assimilant les modèles qui ne parlent qu'à nous sans chercher à l’imposer à l’autre.
Bonus :
Les travaux de Campbell sont soumis à de nombreuses critiques qui permettent aux gens de mauvaise foi de disqualifier l’intérêt du Monomythe dont l'universalisme dérange. Je réponds histoire d’appuyer mon propos.
Les mythologues ne se sont guère emballés par les travaux de Campbell.
Tout à fait mais c’est parce que les mythologues s’intéressent plus à la forme qu’au fond. Les personnes qui étudient les anciens mythes s’intéressent à ce qui fait les spécificités de telle ou telle culture. Parler Monomythe à un mythologue c’est un peu parler alphabet à un académicien. De plus les conclusions universalistes qui sous-tendent les thèses de Campbell se heurtent, avouons-le, à pas mal d’idéologues. Les chercheurs se contentent de froncer les sourcils de ne pas trop en parler, histoire de ne fâcher personne. Pourtant Georges Dumézil a eu moins de problème à se faire accepter avec son modèle indo-européen.
Oui c’est bon Campbell et ses travaux sont bien connus des cinéphiles et des amateurs de jeux vidéo au point que les scénaristes se servent du voyage du héros comme une bible. Au final aucune originalité, on nous ressort la même soupe ad nauseam.
Ça c’est parce qu’ils appliquent le modèle au premier degré, sans explorer le potentiel du chemin du héros. La force du chemin c’est qu’il parle à chacun d’entre nous. De fait nous pouvons nous permettre de nous aventurer dans des idées nouvelles car elles se fondent sur un élément essentiel et commun. S’attacher uniquement au chemin du héros seul c’est se limiter à un squelette narratif qui paraitra bien maigre. Des clichés vu et revus depuis l'aube de l'humanité.
En somme Campbell lui-même assume les limitations du modèle et ne voie pas dans le Monomythe une solution à tout (comment raconter une histoire, s’élever spirituellement, etc.) mais comme une base qu’il est important de prendre en compte car elle a façonné nos cultures.
Ce n’est pas une vue patriarcale et capitaliste ces histoires d’individus males qui dépasse « la plèbe » pour devenir roi du monde ? On dirait du Nietzche.
Alors un c’est une vue un peu simpliste et Campbell ne justifiait en rien le modèle du héros mâle. Tout d’abord parce que des millénaires de patriarcat sont difficiles à effacer d’un coup et que, oui, dans la majorité des histoires, les héros sont des hommes. Mais pas dans toutes et surtout pas dans les contes pour enfant où les héros sont souvent des héroïnes. Et de deux cette idée qui voudrait que le héros va dominer les autres par son pouvoir fraichement acquis est une illusion. La vraie signification du Monomythe est le cheminement vers la sagesse, la paix intérieure. Si les symboles utilisés sont bien matériels la plupart du temps, le fond de la victoire du héros est bien intérieur. Cet oubli est à l’origine, à mon avis, de la vision « premier degré » des religions et des personnes qui vont chercher dans une vérité spirituelle une vérité matérielle bien illusoire.
ENJOY!
Ô Gilgamesh, pourquoi courir ainsi?
La vie que tu cherches, tu ne la retrouveras jamais.
Lorsque les dieux ont créé l'homme,
ils assignèrent la mort à l'humanité,
et gardèrent la vie dans leurs mains.
Nourris-toi Gilgamesh;
jour et nuit, réjouis-toi;
organise chaque jour, un évènement heureux.
Jour et nuit, divertis-toi, sois gai;
que tes vêtements soient élégants,
que ta tête soit lavée et ton corps baigné.
Sois attentif au tout petit qui te tient par la main.
Que ta femme soit comblé, bien serrée contre toi.