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Les bons remèdes du Docteur Dandy.

Narration: les leçons de Dumas

Publié le 7 Mai 2018 par Dr Dandy in théorie, maîtrise, meneur de jeu, mousquetaires, dumas, leçons

Un valet à l'oeil vif!

Or donc je suis tombé récemment sur le livre audio des 3 mousquetaires de Dumas et me suis rendu compte que je ne l'avais jamais lu, abreuvé que je n’étais pas les multiples adaptations de toutes sortes sans connaitre réellement l'original. Ayant pas mal de routes à faire, je l'avalais d'une traite, bercé la verve d'un Guillaume Gallienne en grande forme. Et en écoutant attentivement j'ai réfléchi à la façon dont Dumas concevait son récit, avec ses forces et ses faiblesses pour constater que beaucoup de ses tics d'écriture étaient aujourd'hui généralisé dans de nombreux médias (dont le ciné et les séries). J'ai donc pris des notes pour voir ce que Dumas aurait à nous apprendre s'il avait été un maître de jeu ou un auteur de jdr. Voici les 7 leçons d'Alexandre Dumas.

Des coïncidences et rebondissements téléphonés.

En fait il y en a tellement que l'on pourrait trouver cela grotesque. Chaque apparition fortuite d'un personnage ou rebondissement donne l'impression que Dumas ne se fatiguait pas trop pour écrire ses intrigues. Il use et abuse de rencontres au hasard que l'on voit arriver à des kilomètres. Faiblesse? Paresse d'écriture à proscrire? Et si Dumas en bon dramaturge ne cherchait pas justement à nous rendre complice de ses forfaitures? J'ai remarqué que certaines révélations sont retardées par des scènes parfois inutile d'un point de vue purement narratif. On voit arriver le truc comme le nez au milieu de la figure mais les personnages mettent un long moment à s'en rendre compte. A la lecture nous ne sommes plus dupes mais participons pleinement, avec une certaine gourmandise, au moment fatidique de la révélation.

Le conseil: les coïncidences qui tombent comme un cheveu dans la soupe sont légions, pas la peine de vous draper dans votre dignité quand les joueurs froncent les sourcils devant vous. Au contraire! Assumez pleinement et faites en les complices de votre rebondissement téléphoné. Comme toujours Haters gonna Hate mais les bons clients, eux, en rajouteront pour rendre le moment totalement théâtral.

Des personnages hauts en couleur mais pas trop lisses.

Une des grandes marques de fabrique de l'auteur vient aussi des personnages typés mais qui se révèlent moins binaires qu'à première vue. On identifie immédiatement les caractères des uns et des autres et leurs attributs. Les descriptions vont avec ces aspects: l'aubergiste trouillard et veule se frottent les mains jusqu'à ce qu'elles se mettent à trembler devant la perte de bon argent, la comtesse lève le menton et pose ses yeux de chat sur les héros pour montrer sa supériorité sociale mais aussi son intérêt. Mais ces personnages ne sont pas forcément uniformes, ils peuvent montrer d'autres aspects de leur personnalité au fur et à mesure qu'ils sont exposé. D'ailleurs Dumas les utilise aussi pour mettre en valeur les héros en les confrontant à des figurants anecdotiques afin d'explorer un peu plus leur personnalité. L'exemple le plus flagrant dans les 3 mousquetaires est quand D'Artagnan fait le tour des auberges pour récupérer ses compagnons laissés sur la route du Havre. Totalement inutile mais truculent et révélateur des personnalités des compagnons du héros.

Les conseils: marqués au fer rouge le moindre pnj d'un trait spécifique qui le rend identifiable. Il sera toujours temps de le densifier avec d'autres traits si les pjs ont l'occasion de discuter un peu plus avec eux. Peut-être que cet aubergiste est peureux depuis qu'il failli mourir lors d'une attaque de brigands et que son amour pour l'or cache en fait un père soucieux d'offrir une vie décente à ses enfants. Qui sait!

Ensuite profitez parfois de certains personnages pour explorer avec les joueurs leur propre roleplay. Lancez des bouteilles à la mer peut être que cette servante d'auberge a d'autres ambitions que de simplement servir de coup d'un soir au guerrier amoureux des bonnes chairs. Que dira-t-il si elle envisage quelque chose de plus sérieux?

Milady, une femme sensible...

Certaines choses se passent en coulisse

Une chose qui m'a vraiment surpris dans les 3 mousquetaires, les héros sont parfois inactifs pour diverses raisons à contrario de figurants et ennemis. C'est ainsi que les personnages finissent par découvrir les conséquences des manigances des autres, parfois à leurs dépens! Rochefort ou Milady sont plus que compétents et travaillent dans l'ombre pendant que les héros font des choses sans intérêt voir se reposent (ou picolent, beaucoup). Mais fort heureusement les mousquetaires ont des valets qui effectuent des tâches subalternes avec entrain et leur évitent bien des corvées.

Le conseil: entre chaque séance ou moment de pause dans l'histoire, pensez à ce que font les pnjs pendant ce temps-là. Restez cohérents (pas la peine d'imaginer un improbable guet-apens pour la scène suivante si ça n'a pas de sens) et n'oubliez que les effets narratifs auront d'autant plus de poids qu'ils seront crédibles.

Accélération et décélération.

Un autre aspect de la narration de Dumas est le sens du timing assez étrange. En effet, il peut accélérer son récit de manière quasi frénétique pour ensuite délayer des moments particuliers jusqu'à l'écœurement (la scène où D'Artagnan se fait passer pour un autre pour séduire Milady de Winter). Ainsi la course aux ferrets de la reine, repris tant de fois dans les adaptations, est finalement assez vite expédiée dans le récit. Au contraire le récit de la récupération de ses compagnons par D'Artagnan s'étire en longueur sans grand enjeu narratif. Mais parce que les intentions sont différentes. Dans le premier cas il s'agit de donner un sentiment d'urgence à a la situation.  Dans l'autre le seul but des scènes est d'explorer un peu plus le tempérament des mousquetaires et leurs liens entre eux. De même certains passages de temps sont évacués très vite (quelques mois plus tard) quand d'autres instants semblent s'éterniser. Pas de demi-mesure chez Dumas!

Le conseil: ici on touche aux limites entre littérature (ou l'auteur donne le rythme qu'il veut) et jdr où le meneur, s'il apporte un rythme, doit aussi transiger avec les agissements des joueurs. Cependant c'est tout à fait possible en partie. Notamment pour donner des espaces de respiration via le roleplay ou l'immersion en jouant des situations sans enjeux importants si ce n'est pour faire vivre leur personnage.

Des descriptions cinématographiques!

Dumas est un homme de théâtre et cela se ressent dans ses descriptions. C'est tout juste si on n'a pas de didascalies en sous texte. Les personnages ont des gestuels, des accents, des attitudes marquées, etc. Mais c'est également très moderne car il y a aussi e la mise en scène, à la limite un discours cinématographique. C'est parfois abusé et on sent que la suspension d'incrédulité en prend un coup mais c'est généreux et grandiloquent, vivant!

Le conseil: pour se la jouer à la Dumas, n'hésitez pas à y aller carrément dans la mise en scène, faites vibrer votre fibre théâtrale et jouer sur les descriptions de mise en scène. Bien évidemment ça n'est pas faciles au premier coup mais avec un peu d'habitude cela fonctionne et les joueurs, d'expérience, apprécient les meneurs qui se donnent la peine et savent se montrer indulgents.

de l'action!

Apparences et faux semblants

Si les personnages chez Dumas sont vite identifiables et caractérisés, Dumas sait aussi jouer avec les apparences et brouiller les cartes. En effet, plus d'une fois, notamment avec la vénéneuse Milady, les personnages (même les héros) ne montrent pas leur vrai visage voir jouent un jeu trouble. Un peu comme des acteurs de la Commedia Del Arte portant le masque de l'innocence pour mieux révéler leur nature fourbe. Et, comme toujours, jamais avec parcimonie.

Le conseil: Ce n'est pas toujours facile car les joueurs sont souvent des vieux briscards de la narration et voient arriver les menteurs à plein nez. Mais si vos pnjs sont réellement retors, n'hésitez pas à donner le change pour faire comprendre que les pjs n'ont aucune raison de ne pas croire ce bon Célestin* est un traître. Et sans preuves, leurs intuitions ne valent souvent pas grand-chose...

Des intrigues simples et sans équivoques.

Si les personnages ou les mises en scène sont parfois confuses, les intrigues, elles, ne le sont pas. Rattraper Buckingham et ramener les ferrets de la reine avant le Grand Bal, retrouver Constance, déjouer les plans du Cardinal, Retrouver Constance, bref, les mousquetaires savent toujours ce qu'ils doivent faire. Et ceux-ci comprennent vite les enjeux derrière leurs missions, pas d'ambiguïté. On ne se laisse pas aller à des circonvolutions mentales pour suivre l'histoire et on profite largement du spectacle.

Le conseil: je déteste, que ce soit en tant que joueur ou comme MJ, les intrigues où on passe la moitié du temps à chercher à comprendre de quoi il retourne. Mon approche là-dessus: faire simple, voir "petit" (genre une histoire vraiment anodine qui prendra de l'ampleur si elle n'est pas réglée) et attendre pour complexifier l'ensemble. L'exemple parfait est la course poursuite après Buckingham. Simulée en jdr on aurait très bien pu la limiter à un jet de dé expédié mais l'enjeu force à densifier une simple course à cheval dans le Nord de la France. Et c'est ainsi que, péripéties après péripéties, D'Artagnan arrive seul à destination, ayant laissé ses compagnons sur la route.

Tous pour un pour botter les culs!

*Oui, car c'est Vichy, Célestin!

Bonus: Pour apprécier encore plus l'oeuvre mythique de Dumas, voici un mini jeu narratif pour se la jouer Athos, Porthos ou Aramis.

ENJOY!

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Très bonne analyse (et bravo pour le jeu de mot très moisi; en connaisseur, je ne peux qu'apprécier). Quelque part, Dumas est un ancêtre du style pulp: on y retrouve pas mal des éléments des "two-fisted tales" du siècle suivant.<br /> <br /> Et, d'un point de vue narratif, c'est quelque chose que tu comprends assez vite quand tu écris de la fiction: certains rebondissements ne sont pas logiques, mais si tu devais suivre la logique, il y aurait beaucoup plus d'étapes, de personnages et ce serait chiant. Et, de même, il y a des scènes qui, dans la logique de l'histoire, ne servent à rien, mais qui permettent de mieux caractériser tes héros.
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