Article édité le 05/08/2016
Avant-propos
Voici un article pour répondre à une idée préconçue assez répandue dans le milieu roliste que j’aimerais enterrer une bonne fois pour toute. Entendons-nous bien, si je pense que cette idée générale est mauvaise et même dommageable, je ne stigmatise pas les personne qui partagent cette idée. En effet ce concept du « bon MJ » (appelons comme çà à défaut d’autre terme plus approprié) est née de la pratique des rôlistes durant des années. Ces rôlistes élevés à la dure, à la « force du poignet », qui ont avalé des kilomètres de règles, de livres pas toujours limpides et qui ont malgré tout réussis à produire de bonnes parties. Ces rôlistes ont acquis de « l’expérience » et ont « initiés des novices » à cet art délicat qu’est la « maîtrise » d’une partie de jeu de rôle*.
Avec les années, s’est forgée l’idée que mener une partie était quelque chose qui s’apprenait, sur lequel on pouvait acquérir des niveaux en mastering, que les anciens pouvaient coopter les jeunes et leurs apprendre leurs techniques peaufinées au fil des années. Il faut dire que quand les premiers racontent les moments épiques accumulés au bout de 10, 20 voire 30 ans de pratique on comprend que cela fasse des envieux chez les seconds. Fierté des uns, admirations des autres, le Mythe du Bon MJ était né.
Malheureusement ce mythe, qui part d’une volonté altruiste de transmettre un « savoir-faire », entraîne des effets pervers. Je peux en parler car j’ai longtemps cherché à atteindre ce statut de « Bon MJ » mais j’ai toujours angoissé de ne pas y arriver. Ça va mieux merci, je suis un « mauvais MJ » mais maintenant je m’éclate avec mes potes et je prends réellement du plaisir.
Décortiquons un peu ces idées qui ont l’air super cools à première vue mais qui se révèle inadaptée avec le recul.
D'abord les intentions: définir des critères objectifs permettant de mesurer vos compétences et vous permettre de combler vos lacunes en la matière. Malheureusement ces critères se heurtent aux attentes très différentes de chacun dans une partie de jeu de rôle. Par exemple le critère de la qualité de conteur est souvent proposé comme un incontournable. Dans mon cas personnel un gentil conteur d'histoires va m'ennuyer en tant que joueur car je suis plus sensible aux qualités d'animateur d'un meneur pour qu'il me permette d'être le héros de l'histoire et non un simple spectateur.
La méthode de propagande: d'abord on remarque que personne ne s'autoproclame "Bon MJ" même si certains on récupéré cette étiquette part la qualité de leurs parties. Ces pauvres meneurs qui, pour la plupart n'ont rien demandé, sont montré comme mètre-étalon sur l'échelle de valeur. Arrive ensuite les donneurs de conseils qui vont expliquer qu'ils ont bien réfléchi dans leur coin et proposer une table des lois/bible***/manuel du castor juniors faisant autorité. Malheureusement leurs idées sont validés par de nombreux rôlistes qui approuvent la voie royale pour être un bon meneur. Mais ce n'est pas sans conséquence.
Les effets pervers:
- La plupart des critères de sélection vont se révéler exclusifs: vous en êtes ou pas. Certains ne vont pas s'y reconnaitre et vont soit laisser tomber le médium, soit trouver une nouvelle voie au travers de jeux expérimentaux, plus en phase avec leurs attentes; les autres vont tenter de s'approcher du Graal et fournir des efforts pour faire partie de "l'Elite" (qui n'existe pas! Il n'y a pas un club secret ou un palmarès du meilleur meneur), souvent en vain.
- On ne parle jamais dans ces critères des joueurs comme si c'était des grands enfants indisciplinés qu'il fallait éduquer. En l'absence de toute responsabilité ils sont libres de se conduire comme ils veulent. Si la partie est naze c'est parce que le meneur n'a pas su gérer.
- Mine de rien quand tu es un meneur peu expérimenté cela met la pression. Comment faire pour être à la hauteur? Ou pire qu'il va falloir attendre pour obtenir des résultats satisfaisants! Combien de parties médiocres dois je mener avant d'être "bon"?
A force s'est forgée une image du bon MJ véhiculée par certains au point que cet idéal est devenu une caricature.
Quelques exemples:
Le MJ a toujours raison, ne doit jamais remettre en cause ses décisions, il est le « Maître » à bord.
Mouais, si vous voulez mon avis c’est parfait pour justifier le comportement tyrannique de petits dictateurs en herbe. Un meneur c’est un humain, pas « Dieu le Père** » même si les joueurs lui sont totalement dévoués. En tant qu’humain le meneur a le droit de se tromper, d’être contredit et d’accepter la critique. Si moi en tant que joueur je pense à une solution narrative plus satisfaisante que celle du meneur, je ne vois pas pourquoi je me tairais. A lui ensuite de choisir en conscience, l’important c’est que l’histoire y gagne. D'ailleurs les MJs peuvent être à court d'idées ou s'être trompé de bonne foi. Ce sont des êtres humains après tout?
Le BON MJ doit tricher avec les dés, faire du bruit derrière l’écran, en faire ce qu’il en veut.
Si c’est bien le cas pourquoi on continue à produire et à jouer à des jeux qui utilisent des dés (ou des cartes, des pièces de monnaies, etc.) ? Par nostalgie ? Par conservatisme corporatiste ? Par pression du lobby des fabricants de dés ? Non, parce que les dés (et toutes les règles de jeu en général) sont nos amis. Ils nous servent à structurer la narration et à arbitrer les situations de conflits narratifs (« je veux tuer le grand Méchant » VS « mon boss, tu ne vas pas te le faire en un seul round »).
Les « dés» ont deux fonctions :
1- apporter du hasard et de l’organisation pour rendre l’expérience ludique, un minimum pour un jeu de société. Oui le jeu de rôle est un jeu, un peu particulier certes mais tout de même une œuvre dédiée à l’amusement collectif. Dans jeu de rôle il y a « jeu », c’est bien de le rappeler.
2- Servir de guide dans la narration. Par exemple pour la classique détermination de l’initiative ou pour résoudre un problème qui dépasse les compétences du joueur (mais pas du personnage). Même un fumble peut vous amener quelque part, pas obligatoirement dans une impasse. N’ayez pas peur de jeter les dés mais faîtes-le pour de bonnes raisons.
S’en passer c’est proposer du « freestyle » qui ne va déplacer la qualité de la partie que vers la seule qualité des joueurs et du meneur, qualité garantie uniquement si on a un « bon MJ », qui n’existe pas ! Pas de chance.
Certains répondront que les dés et les règles sont susceptibles de pourrir une situation narrative, d’aller à l’encontre de l’intérêt de l’histoire ou de l’immersion des joueurs dans la partie. C’est pour cela que je parle de guide et non pas de bible ou de Petit Livre Rouge. Tel un GPS, les « dés » vous amènent dans une direction. Vous pouvez l’ignorer, parce que c’est plus intéressant ET que l’ensemble de la table y voit un intérêt. Mais ne vous plaignez pas si vous êtes perdu ou qu’un des participants refuse de vous suivre. Si tout le monde est d’accord c’est parfait, mais le meneur n’a pas à imposer sa vision sous prétexte que c’est lui qui est derrière l’écran.
Le « bon MJ » est capable de faire une bonne partie même avec des joueurs qui font n’importe quoi.
Il est troooop balaise ! Bon il est vrai que ce n’est pas toujours facile, Greg’ a envie de déconner et vous sentez que cette partie de l’Appel de Cthulhu ne sera pas à la hauteur de vos ambitions. C’est grave ? Non parce que si les autres joueurs suivent le mouvement et que, même vous, vous trouvez cela drôle vous n’avez pas besoin de hurler des insultes en allemand. Il faut dédramatiser, tout le monde est là pour passer un moment agréable et il est toujours de bon ton de rappeler que ce soir c’est sérieux. Il suffit de le dire, si vous êtes un peu timide et que vous vous exprimez sans hausser la voix, il y aura de bonnes chances qu’un autre joueur fasse les gros yeux à notre joyeux drille.
Cette idée que, quoiqu’il arrive le meneur gère, engendre une totale déresponsabilisation des joueurs. « Si j’ai mal joué c’est parce que tu ne m’as pas intéressé suffisamment. »
Pour le coup je réponds « privé de dessert, tu vas au coin ! » Non mais!" Ridicule, non?
Et puis il faut faire confiance aux joueurs. Les pjs ne vont pas là où vous l’aviez prévu ? Pire, ils foncent droit dans les ennuis ? Et pourquoi pas ? Etre surpris par ce qui arrive cela fait aussi partie du plaisir du jeu. Faire confiance aux joueurs pour aller au-devant de l’histoire peut être très gratifiant, plutôt que de les mener dans l’impasse car leur action n’est pas prévue dans le scénario. Combien de fois j’ai entendu/dit « non cela ne marche pas » ? Le meilleur moyen de tuer l’immersion.
Immersion : le bon meneur est garant de l’ambiance qui va permettre aux joueurs de s’immerger et faire du roleplay.
C’est un peu la même chose qu’au paragraphe précédent. Si le meneur s’agite comme un dingue et que les joueurs ne font pas d’effort, l’immersion ne vient pas. Ce paradigme m’a engendré aussi beaucoup de frustration, à force de vouloir « mettre une ambiance » qui garantit la qualité de la partie. Pas de chance j’ai des joueurs qui n’aime pas la musique et qui se marrent quand je prends un accent bizarre. L’immersion c’est une alchimie qui se créé entre ce qu’apporte le meneur, comment les joueurs rentrent dans l’histoire mais aussi comment le système de jeu va permettre cette immersion. Malgré de nombreux défauts, l’Appel de Cthulhu reste une référence avec sa SAN qui vous rappelle constamment que votre esprit est en train de basculer vers la folie. Enfin l’immersion c’est cool mais si vous n’êtes pas dedans ce n’est pas grave, on peut très bien faire une partie en rigolant devant ce pnj fou qui invoque Shub-Niggurath.
Réflexions et contre-arguments à mes propos:
"Il faut quand même admettre qu'il y a de meilleurs meneurs que d'autres! "
C'est un jugement de valeur excessivement subjectif fruit d'expériences avec des personnes dans des contextes particuliers (univers, jeu, ambiance, personnes autour de la table) qui ne peuvent servir de modèles. Au final il n'y a pas de bons ou mauvais MJ mais des bonnes et mauvaises parties****
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"Mais alors Doc, on ne peut plus donner de conseils pour aider les autres? Pas de bons ni de mauvais meneurs et chacun sa merde?"
Pas tout à fait, des conseils j'en donne aussi mais au travers de ma propre expérience de jeu. J'écris des comptes rendus, fais part de mes expériences, précises mes attentes sans jamais imposer de vision monolithique. Par exemple j'aime sonoriser mes parties et j'y consacre du temps. Je vais partager ma méthode et expliquer ce qui fonctionne ou pas mais pas expliquer que MA méthode marche à tous les coups. Surtout que certains rôlistes détestent la musique durant une partie.
"OK mais il doit bien y avoir un moyen d'offrir un indicateur pour aider les meneurs à progresser. Il y a certaines qualités qui sont universelles: l'écoute, la culture, la capacité à imaginer et à décrire, l'aisance sociale, etc."
Oui mais personne n'est parfait et je ne connais personne qui réunisse toutes ces qualités. Si on n'a pas beaucoup d'imagination on peut s'en sortir en s'appuyant sur celle des autres. Faire de l'imagination un critère exclusif va frustrer/dégouter ceux qui en sont (ou pensent en être) dépourvu. Mais il est vrai que ces qualités vont permettre de mettre en œuvre efficacement la règle Zéro.
Règle ZERO
Au final je ne propose qu’une seule et unique règle pour s’assurer que la partie de jeux de rôles soit bonne : les joueurs (meneur compris) sont là pour passer un bon moment ENSEMBLE. Notez que je précise bon moment, pas s’amuser, s’éclater, etc. En effet « passer un bon moment » peut aussi vouloir dire que la partie va être source de réflexion, de stress, de poilades plus ou moins de bon goût et très souvent de plaisirs simples. Une fois que cette règle est établie, elle permet le dialogue entre les participants de la partie qui ont le même objectif et résous tous vos problème autour de la table. Oui pour cela il faut échanger, on est justement là pour cela ! Après que vous poussiez des figurines sur un plateau ou que vous jouiez un drame poignant durant le ghetto de Varsovie c’est accessoire, seul compte le plaisir qu’on y trouve.
ENJOY! TOGETHER!
PS: Comme je ne suis pas un grand théoricien je vous invite à visiter le site de l'ami Greg qui dépèce la matière rolistique pour en appréhender la substantielle moelle. Preuve que les belges ne font pas que de la bonne bière.
PS bis: un grand merci à Steve/Webchef qui a apporté ces commentaires pointus pour me permettre de construire solidement mon argumentation. Je ne sais pas si au final il sera d'accord avec moi mais grâce à lui j'ai pu creuser la question.
*Vous noterez que les termes employés, lu par quelqu’un de totalement étranger à la pratique du jeu de rôle, ont de quoi effrayer. Mireille, je te pardonne car je te comprends maintenant.
** D’ailleurs d’un point de vue métaphysique si Dieu est un MJ, est-il un adepte du toboggan ou partisan de la narration partagée ?
*** La bible du MJ proposée par Footbridge est l'exemple type d'un ouvrage intéressant au contenu riche et travaillé qui se révèle totalement maladroit dans l'approche. Dommage.
**** On pourrait d'ailleurs tenter de voir s'il n'y a pas un moyen de déterminer des critères objectifs pour qualifier une bonne partie de jdr. Mais je crains qu'on ne se perde dans un débat sans fin.